Né le 26 septembre 1889 à Meẞkirch, Heidegger n'a jamais voulu quitter la région de la Forêt Noire. Il déclinera ainsi deux propositions de recrutement de la part de l'université de Berlin et préférera continuer à dispenser son enseignement à l'université de Fribourg-en-Brisgau. Cet attachement s'exprimera de manière complexe dans sa philosophie par l'intermédiaire des concepts : vaterländische Umkehr et Heimat.
A partir de 1920 et jusqu'à sa mort, le village de Todtnauberg, devient un lieu privilégié de retraite et de villégiature, où ,en 1922, il fait construite une petite maison en lisière de forêt : la Hutte.
Il y rédigera l'essentielle de Sein und Zeit et du reste de son œuvre.
Heidegger décrit le lieu et son influence comme suit :
" Sur le versant escarpé d’une vaste vallée de montagne, dans le sud de la Forêt Noire, à 1.150 mètres d’altitude se dresse un petit chalet de ski. Il mesure 6 mètres sur 7. Le toit bas abrite trois chambres : la cuisine qui est aussi la pièce d’habitation, la chambre à coucher et un étroit cabinet de travail. Dispersées dans le fond resserré de la vallée et sur le versant opposé, se logent à de larges intervalles des fermes aux larges toits en surplomb. Plus haut sur la pente, prés et pâturages s’étendent jusqu’à la sombre forêt de sapins, antique et majestueuse. Le tout est couronné par un ciel d’été transparent, et dans son espace radieux deux éperviers planent en décrivant de larges cercles.
Tel est mon univers de travail - du point de vue d’un observateur, visiteur ou vacancier. Moi-même à vrai dire je n’observe jamais le paysage. J’éprouve son changement d’heure en heure, le jour et la nuit, dans les grands essors et déclins des saisons. La pesanteur des montagnes et leur dure roche immémoriale, la prudente croissance des sapins, la splendeur lumineuse et modeste des prés en fleurs, le mugissement du torrent de montagne dans l’immense nuit d’automne, la rigoureuse simplicité des étendues recouvertes de neige épaisse - tout cela se glisse et pénètre dans l’existence quotidienne là-haut et y demeure en suspens. Non pas dans les instants calculés d’une jouissance où l’on s’abîmerait et d’une artificielle identification, mais seulement quand l’être-là propre se trouve à son travail. C’est seulement le travail qui ouvre place à cette réalité effective de la montagne. La marche du travail demeure insérée dans ce qui dans cette contrée advient.
Quand dans la profonde nuit d’hiver une furieuse tempête de neige fait rage autour du chalet et donne ses coups de boutoir, recouvrant et dissimulant tout, c’est alors qu’il est grand temps pour la philosophie. C’est alors que son questionnement doit se faire simple et essentiel. L’élaboration de chaque pensée ne peut être que dure et rigoureuse. La difficulté de la langue à s’articuler est semblable à la résistance des hauts sapins sous la tourmente.
Et la tâche philosophique ne se déroule pas comme l’occupation isolée d’un original. Elle entre en plein milieu du travail du paysan. Quand le garçon de ferme tire en remontant la pente le lourd traîneau, ou le guide, chargé d’une haute pile de bûches de hêtre, dans sa périlleuse descente vers la maison, quand le berger, de son pas lent et méditatif, conduit le troupeau vers le haut des pentes, quand le fermier à son établi prépare avec soin les innombrables bardeaux pour son toit, alors mon travail est de la même sorte. I1 se trouve enraciné là, et appartient de façon immédiate (unmittelbare) au monde du paysan."